Interview 2019 :

Jean Mazoyer, tu as pratiqué le théâtre amateur depuis longtemps… Peux-tu nous décrire ton parcours ?

Un parcours de plus de soixante ans, c’est un peu difficile à résumer, mais je vais tenter de décrire ce parcours aussi simplement que possible.

J’ai été fasciné par le théâtre depuis mon enfance. J’habitais alors en région parisienne, à Aulnay-sous-Bois. Vers huit ans, le lundi matin, dans la cour de l’école à la récréation, je tentais avec deux ou trois camarades de rejouer une ou deux scènes du film vu la veille au cinéma avec les parents. Trois ans plus tard, je persuadais mes parents pour aller à l’Odéon, alors deuxième salle de la Comédie-Française, afin de voir deux pièces de Molière : le Médecin malgré lui et le Malade Imaginaire. J’étais ravi, mes parents un peu moins, au contact de ce théâtre classique, et quelques semaines après ils m’emmenèrent au théâtre du Châtelet pour voir l’Aiglon. Emporté comme toute la salle par les vers de Rostand, je restais émerveillé par la machinerie. Je me souviens en particulier de ce deuxième acte qui se passait sur la terrasse d’un café dans un parc et où les ombres tournaient et s’allongeaient comme si c’était vraiment le soleil qui les provoquait.

Mes rencontres avec le théâtre se firent ensuite plus rares. Ce fut vers quinze ans que je prenais plaisir à répéter à mes copains les monologues de Robert Lamoureux, cherchant à retrouver les intonations du modèle. Et puis, la première expérience eut lieu à mes dix-neuf ans quand pour la fin de nos études à l’École Normale d’Instituteurs de Versailles, avec une dizaine de camarades nous montâmes tout un spectacle de plus de deux heures pour l’ensemble des élèves et toute l’équipe des enseignants. Je me souviens en particulier d’avoir joué, à cette occasion, la fameuse scène de la partie de cartes de Marius, où je tenais le rôle de César. C’est là où je pris le goût de jouer devant un public.

Puis vint le service militaire. Toujours avec le goût d’amuser les autres, je continuais les imitations. Avec une chance inouïe, bien que mobilisé dès les premiers jours de la guerre d’Algérie, je ne fus jamais recruté pour rejoindre ce pays et je restai caserné à Paris à moins d’un kilomètre de la Tour Eiffel, travaillant dans la journée dans un bureau du Ministère de la Guerre, mais ceci pendant quand même vingt-huit mois. Je fis tout d’abord la connaissance d’un petit groupe de garçons de mon âge qui cherchaient plus ou moins à trouver une place au music-hall. Ils me demandèrent de me joindre à eux pour présenter mes imitations dans un petit spectacle présenté dans le sous-sol d’un café parisien. Ce fut pour moi un cuisant échec qui me fit renoncer à ma carrière d’imitateur.

Cependant, dans le bureau où je travaillais en plus d’un autre conscrit comme moi, il y avait un trio d’adjudants, avec lesquels je sympathisais même si je ne partageais pas toujours leurs opinions, et surtout quatre dactylos, deux militaires et deux civiles, avec lesquelles je sympathisais également, d’autant plus qu’elles avaient à peu près mon âge. Au fil des jours, l’une des deux civiles m’apprit qu’elle faisait partie d’un groupe de théâtre qui répétait régulièrement chaque semaine. Très libre de mon temps, en dehors des heures de bureau, je lui dis que j’étais intéressé et très rapidement elle me présenta à la troupe qui se composait de huit à dix personnes de vingt à quarante ans. Cette troupe s’appelait Antigone et la première pièce de son répertoire était justement Antigone de Jean Anouilh. J’y fus distribué rapidement dans le rôle du troisième garde, mais par la suite j’eus le plaisir d’y interprété le Chœur. Je restai dans cette troupe pendant environ quatre ans. Nous jouions régulièrement à l’hôpital du Val-de-Grâce et dans quelques cliniques de la grande banlieue parisienne. J’ai connu là le vrai plaisir de la troupe avec cette volonté de tout faire pour que le spectacle soit réussi. Et puis, j’ai pu aussi aborder un répertoire varié avec des pièces de Labiche, Camus, Achard … où les rôles qu’on me confiait étaient plus importants, voire quelquefois un premier rôle.
Nouveau tournant, je me marie et avec mon épouse nous décidons d’aller prendre en charge la direction d’une petite école de trois classes dans un village de 440 habitants, Bazemont. En dehors de notre travail scolaire, nous nous mêlons à la vie du village. C’est ainsi que nous participerons à la mise en place d’un club de jeunes avec de multiples activités, club qui vit maintenant depuis plus de cinquante ans et a de plus en plus d’activités. C’est au sein de ce club qu’un membre adulte émet l’idée de monter une troupe de théâtre.
Après avoir été instituteur détaché à la Fédération des Œuvres Laïques puis à la Ligue de l’Enseignement, je viens en répondant à une petite annonce d’être embauché à la Comédie-Française, comme chef du service des imprimés et publications. Quand on aime le théâtre on a l’impression d’être à la porte du Paradis. De ce fait, j’accepte la proposition de faire partie de la troupe parce que l’aventure me tente beaucoup.
Je propose à mon club local, que l’on monte une pièce de Labiche, la Poudre aux Yeux, dont j’ai le texte puisqu’elle vient d’être jouée au Français. Cette troupe qui se constitue fait preuve d’une détermination incroyable et on ouvre la location pour les trois représentations prévues : elles affichent rapidement « Complet », et ce seront finalement neuf représentations qui se succéderont nous apportant un succès local inimaginable au départ. Maintenant chaque année c’est un nouveau spectacle avec une succès qui ne se dément pas : Knock, Barouf à Chioggia, Malbrought s’en va-t-en guerre, Les Fourberies de Scapin… Je vais pouvoir aussi faire mes débuts de mise en scène. J’y resterai pendant une dizaine d’années, mais cette troupe continue d’exister après quarante ans.
Lorsque je déménage pour habiter le bourg voisin, il y a également une troupe de théâtre que le responsable un peu découragé veut dissoudre. Je l’en décourage fortement et nous voilà partis avec L’Éventail, un autre Goldoni, qui marque le renouveau de la troupe qui va encore continuer pendant de longues années. J’y suis comédien, j’y fais un peu de mise en scène. Je commence à me sentir vraiment un homme de théâtre et j’ai une petite réputation locale.
C’est alors que mon épouse et moi décidons de venir nous installer à Albertville. Je découvre, ravi, qu’il y a là quatre troupes de théâtre. J’assiste aux représentations de chacune d’elles et propose ma candidature pour les rejoindre. Pas de réponse, jusqu’au jour où un ami m’informe que la troupe Étéroclit qui monte la pièce de Jean-Paul Allègre, Blanche Maupas, recherche des comédiens pour des petits rôles de complément. Je me présente, je suis accepté, mais très vite la metteure en scène estime que je peux assurer un rôle plus important. Je suis pleinement adopté et je découvre une véritable troupe constituée avec comédiens et techniciens ; de plus une troupe affiliée à la FNCTA, ce qui nous permet de jouer en différents lieux et je participerai pour la première fois avec elle au festival de Chatillon-sur Chalaronne. Cette fois j’enchaîne des rôles qui me permettent de m’exprimer pleinement et je me sens en progrès, enfin !
Quelques années plus tard encore, je découvre à la télévision la pièce de Gérald Sibleyras, Le Vent des peupliers, et je décide de la monter avec deux amis dans le cadre d’une autre troupe albertvilloise, La Porte qui Claque. Ce sera un agréable succès, nous jouerons cette pièce trente-neuf fois et participerons avec elle à plusieurs festivals. Mais il faut éviter la routine. Une amie metteure en scène me propose de jouer avec une partenaire d’Étéroclit, la pièce d’Israël Horovitz, Opus Cœur. Beaucoup de travail, mais autre succès. De 2010 à 2013, vingt-trois représentations clôturées par un point d’orgue. Nous sommes invités en mai 2013 au festival Les Théatropes à Barjac, festival dédié entièrement cette année-là à Horovitz qui vient des États-Unis pour l’occasion. Jouer ainsi devant cet auteur qui a mis en scène de grands comédiens et comédiennes me donne quand même un peu le trac. La représentation se passe bien, nous recueillons le succès habituel, le public quitte le théâtre et c’est alors qu’Israël Horovitz monte sur scène, vient vers moi, me dit « Is great ! » et m’embrasse. Cela reste mon plus beau souvenir de théâtre !
Je continuerai malgré tout à jouer d’autres pièces dont La Maison du Lac d’Ernest Thomson, dont nous avons dû arrêter les représentations, l’auteur ayant retirer les droits. J’ai ensuite achevé, en 2016, avec une adaptation des Diablogues de Roland Dubillard, une carrière de comédien à l’âge de 84 ans.
Bien sûr, le théâtre me manque beaucoup, mais je profite de ce que j’y ai appris pour distiller un texte et je fais des lectures à voix haute. Mon dernier exploit a été la lecture intégrale de Saint-Exupéry avec projection à l’écran des illustrations de l’auteur.

Tu as réagi sur l’édito de la dernière newsletter, peux tu développer un peu plus ?

Oui, je n’ai pas pu m’empêcher de réagir en lisant la définition : Amateur : Personne qui manque de compétence, de qualification dans ce qu’elle fait, ou qui exerce une activité sans y apporter l’application ou l’assiduité désirable, dilettante, fantaisiste.Même si elle était là pour être tournée en dérision, j’ai fait un bond. J’ai appris depuis longtemps que la racine du mot « amateur », c’est le verbe aimer. Dirait-on la même chose d’un amateur de vins par exemple.

Mais je sais bien que pour nombre de gens cette définition est prise à la lettre et si c’est un spectacle ou une œuvre, peinture sculpture, d’amateur, c’est que c’est de mauvaise qualité. Pour moi la seule différence entre un amateur et un professionnel, c’est que le second le pratique pour gagner sa vie, alors que le premier le pratique pour le plaisir. C’est le sens de la réflexion du sociétaire de la Comédie-Française que je citais dans ma réponse. De ce fait, il m’arrivait de plus en plus souvent de dire pour me présenter que j’étais « comédien », et je n’ajoutais « amateur » qu’en cas de nécessité pour rassurer qui ne m’avait jamais vu au cinéma ou à la télé.

Que dirais tu à un jeune qui veut faire du théâtre amateur ?

Bien évidemment j’encouragerais un jeune qui veut faire du théâtre. Je le mettrais en garde contre le métier de comédien professionnel car j’en ai connu beaucoup qui courraient chaque jour « le cach’ton » en attendant, souvent en vain, le rôle qui les propulseraient en haut de l’affiche comme l’a écrit Aznavour. Mais je vanterais ce que peut apporter le théâtre à quelque niveau que ce soit. C’est d’abord vivre un esprit de troupe, où malgré quelques difficultés relationnelles parfois, chacun ne vise que la réussite du spectacle. Et puis surtout ce qui est merveilleux c’est de s’imprégner d’un texte, d’en chercher le sens profond à force de le lire et de le relire. C’est aussi découvrir, par l’intérieur un personnage à qui il va falloir donner vie avec ses qualités et ses défauts. Tout cela c’est irremplaçable et ça n’existe nulle part ailleurs.

Et pour finir as tu un message général sur l évolution de cette pratique artistique et qui te tient à coeur ?

L’évolution, c’est le plus triste. De plus en plus le théâtre est considéré comme un genre mineur à côté du ciné ou de la télé. D’ailleurs, la place du théâtre à la télé est vraiment réduite à la portion congrue. Il faut pourtant continuer à se battre pour rappeler que le théâtre est un spectacle vivant, avec devant soi des êtres de chair et de sang. Le spectacle en conserve a peut-être ses attraits mais il ne fait appel à aucune relation humaine et c’est un peu triste.


Un petit mot de Marie-Paule Gagneux :

Jean Mazoyer, un sacré personnage, passionné par toutes formes d’Art, et surtout le théâtre. Passant de l’éducation Nationale aux bureaux de l’académie Française, il a eu la chance de rencontrer de grands comédiens et assister à leurs répétitions. 
C’est une chance de l’avoir eu dans notre troupe et de partager avec lui son expérience et des projets qui me tenaient à cœur, comme Opus Cœur et la Maison du lac. Je dois dire que les rôles lui allaient parfaitement et qu’il les a bien défendus. C’est un travailleur acharné, toujours à l’heure, respectueux des auteurs et de leurs textes. Pas question de supprimer un mot, une ligne. 
J’ai apprécié ses conseils, ses idées, même si je ne les mettais pas toujours en pratique, il ne m’en a jamais tenu rigueur.
Il a toujours eu une grande complicité avec ses partenaires et surtout avec le plus jeune qui interprétait le fils dans la maison du lac. On aurait pu croire que c’était son vrai petit fils. 
Merci, Jean de tous les bons moments que nous avons partagés (les tournées – marseille – barjac-Paris-cheverny- vaison…) (les chambres d’hôtes, les bons restos…..) l’amitié et le théâtre !

 

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